Sujet : Ironman d’Hawaii et phase précompétitive, les protocoles à suivre .
Texte de Karoly SPY & Cyril SCHMIT de Innov-Training.
Parmi les courses de longues distances en triathlon, l’Ironman d’Hawaii possède une saveur particulière… Pour le triathlète amateur comme professionnel la qualification est de plus en difficile à obtenir ce qui en fait l’épreuve du circuit possédant la plus forte densité. A ce titre, Hawaii demeure la course pour laquelle la phase précompétitive doit laisser le moins de place possible aux doutes. Dans ce contexte, malheureusement, force est de constater que les pratiques courantes restent focalisées sur la partie ‘Charges d’entraînement’ des séances. Ces pratiques omettent ainsi certains points clés de la performance avec lesquels il faudra pourtant composer le jour J… Une composition plurifactorielle, qui pourrait donc laisser des traces en cas de préparation partielle.
Tout triathlète qui se respecte est sensibilisé aux notions d’allure de course (ou pacing), d’affûtage, à la nutrition ou encore l’acclimatation aux environnements chauds (cf. articles Trimes). L’idée du présent article n’est donc pas d’insister sur ces thématiques – la prise de conscience de leur importance se passe généralement après un premier échec. Non, l’idée est au contraire de vous apporter des précisions sur chacune de ces composantes afin de faciliter la préparation à ce type de compétition et ne pas repartir frustré de sa performance.
Parlons un peu pacing
Le pacing correspond à la stratégie de gestion de l’effort qui sera la plus efficace, et permettra donc à l’athlète de dégager la puissance mécanique la plus élevée durant l’ensemble de l’épreuve. Abbiss & Laursen, deux auteurs dont la notoriété n’est plus à faire en sciences du sport, ont rapporté en 2008 la stratégie d’allure généralement employée sur distance IM.
"Graphique"
À partir de ce graphique, on constate donc que l’intensité développée (représentée par la variation de la fréquence cardiaque) diminue continuellement de la natation à la course à pied. Rapportée à une épreuve comme l’IM d’Hawaii (dont, on le rappelle, la densité par niveau est maximisée), une telle observation est susceptible d’être renforcée. Autrement dit, dans une configuration d’allure où la confrontation aux autres athlètes est exacerbée, l’athlète s’engage souvent (toujours ?) sur les allures concurrentes, en se disant : « je m’accroche au maximum, cette fois ça va peut-être passer ». Ce genre de stratégie ne passe jamais sur Ironman avec bien souvent une grosse souffrance durant le marathon.
Pour déterminer un pacing individuel adéquat il est nécessaire de cerner en amont de l’épreuve les causes de la fatigue (sur distance IM) qui peuvent avoir une conséquence négative sur la gestion d’allure. Pour en citer quelques unes (Burnley & Jones, 2007) :
- La baisse des réserves en glycogène. Une étude de Noakes et al. (2000) a en effet mis en évidence un épuisement pratiquement complet des réserves en glycogène au bout de 4h30’ de vélo réalisés à 71% de O2 max ;
- Le développement d’un état d’hyperthermie durant les courses en ambiance chaude ;
- L’apparition de dommages musculaires ;
- La baisse de la commande centrale (au niveau nerveux) qui réduit l’intensité de la contraction musculaire ;
- La baisse de motivation.
Nous pouvons jouer sur ces différents éléments en utilisant une approche spécifique :
- Définition d’un pacing optimal qui aura été travaillé en amont durant la préparation avec des séances spécifiques.
*Le concept d’intensité critique (relation linéaire entre l’intensité et le temps) est une approche efficace ayant fait ses preuves sur distance IM. Pour faire simple, plus l’épreuve est longue et moins l’intensité est élevée.
*Différents tests de terrain peuvent permettre de définir la puissance/ vitesse critique (plus d’infos : http://www.ks-training.com/wp-content/u … clisme.pdf & http://www.ks-training.com/wp-content/u … isme.pdf). L’intensité critique pouvant être maintenue 60’, une approche simple consiste à effectuer un effort à intensité maximale sur 60’ pour obtenir une valeur approximative de sa puissance/ vitesse critique.
*A partir de la connaissance de cette donnée, selon le profil du parcours (plat ou montée), nous pouvons modéliser la puissance qui pourra être maintenue sans générer une fatigue néfaste à la réalisation de la performance ciblée.
*Il ne faut pas voir cette notion de pacing sur le vélo comme une intensité qui permettra de réaliser la meilleure performance dans cette discipline mais plutôt comme la gestion de sa réserve d’énergie qui permettra d’aborder le marathon dans les meilleures conditions possible afin de réaliser la meilleure performance globale dans chaque discipline.
*Le pacing de puissance en vélo est propre à chaque individu par rapport à sa relation individuelle puissance-temps.
*On peut toutefois faire ressortir une puissance moyenne qui peut être maintenue sur le parcours vélo d’un Ironman entre 75-80% de puissance critique.
Exemple d’un cas concret d’un athlète en préparation pour l’IM Hawaii 2016
Puissance critique en vélo de 290W (4,33W/ Kg) | Vitesse critique en course à pied de 16,5 Km/h.
Préconisation du pacing de puissance en vélo :
220-230W sur le plat (soit entre 3,28W/ Kg et 3,44W/ Kg) & 290-310W dans les montées (soit entre 4,32W/ Kg et 4,63W/ Kg).
Préconisation du pacing de vitesse en course à pied :
13,5 Km/h [±0,5 Km/h] soit 82% de vitesse critique.
La dernière séance vélo spécifique a été réalisé à J-3 semaines de l’IM Hawaii, elle était composée de 50 Km @160-200W + 130 Km @220-240W qui est la base du pacing préconisé sur l’épreuve.
"graphique"
Nous pouvons voir que la puissance et la FC sont restées relativement stable sur l’ensemble de la séance avec une cadence de pédalage @80 rpm de moyenne qui est le bon rapport entre force et vélocité sur distance Ironman. Cette séance a permis une validation de ce pacing tant au niveau mécanique (puissance), physiologique (peu de dérive cardiaque), que perceptive avec un RPE de 4,5/ 10. A la suite de cette séance l’athlète a réalisé un enchaînement en course à pied composé de 20’ @15 Km/h + 10’ @12 Km/h qui a montré également de bonnes dispositions mécano-physiologique.
La dernière longue séance course à pied a été réalisée le lendemain de la séance vélo en situation de pré-fatigue. Elle était composée de la manière suivante 50’ @11-13 Km/h + 2h00’ @14 Km/h [±0,5 Km/h] + 10’ @10-12 Km/h.
"graphique"
Nous pouvons également voir (comme pour la séance vélo) une très bonne relation intensité-FC sur le pacing de 14 Km/h, une faible dérive cardiaque à cette intensité et une bonne cadence de foulée @188 ppm, tous ces éléments montrant un bon rendement mécanique.
* L’aspect mental: Les longues séances de pacing ont également un intérêt pour renforcer la résistance mentale à l’effort permettant d’endurer le maintien d’une intensité cible durant plusieurs heures malgré une augmentation du niveau de fatigue et d’inconfort durant la course.
Quelle stratégie nutritionnelle sur IM
La dépense énergétique sur distance IM est très élevée, de l’ordre de 8500 à 11500 Kcal avec une moyenne autour de 9040 Kcal (Laursen & Rhodes, 2001). Comme nous avons pu le voir le stock de glycogène est pratiquement épuisé sur un effort >4h30’. Un apport exogène en hydrates de carbone est donc primordial et incontournable. Sur des épreuves d’ultra-endurance (>4h) il est recommandé d’opter pour un apport de glucides de 90g/ h.
Attention l’utilisation de ce dosage en glucides n’est rendu possible que si vous optez pour une boisson contenant 2 transporteurs intestinaux de glucides à savoir le SGLT1 pour le glucose et GLUT5 pour le fructose. En effet, les intestins ne peuvent pas absorber une quantité de glucides >60g/ h s’il n’y a qu’un seul transporteur de glucose. La composition idéale de la boisson sera de 2/3 de glucides et 1/3 de fructose.
* L’influence de la chaleur sur la stratégie nutritionnelle:
En ambiance tempérée nous sommes généralement sur une quantité de liquide de 500ml/ h. Sur Hawaii entre la chaleur et l’humidité les pertes hydriques seront plus importantes. Il faudra monter les apports hydriques sur du 750ml/ h intégrant également un renforcement au niveau des électrolytes pour compenser les pertes minérales.
Il est recommandé de s’entraîner au niveau nutritionnel (comme pour l’entraînement physique) sur le type de stratégie et le type de produit que vous allez utiliser durant la compétition afin d’adapter vos intestins et votre estomac.
Point sur l’adaptation cétogénique:
Les débats actuels en nutrition du sportif en endurance sont largement portés sur l’adoption de régimes LCHF (Low Carb & High Fat) dont les soubassements pourraient ouvrir des perspectives en termes de performance sur les épreuves de longue durée. Spécifiquement, les apports énergétiques en ultra-endurance sont essentiellement (~60%) basés sur l’utilisation d’acides gras libres. L’idée du régime LCHF est donc d’optimiser l’adaptation de l’organisme à fonctionner avec une réserve glucidique basse, dans le but d’améliorer l’utilisation des graisses par l’organisme, et donc son efficience à l’effort. Comment ça marche ?
L’adaptation cétogénique ou cétogenèse correspond à la synthèse des corps cétoniques dans l’organisme (au sein des mitochondries du foie) lorsqu’il y a un excès d’acide gras libre au sein de celui-ci. Derrière le régime LCHF, l’idée demeure donc d’augmenter la disponibilité en graisses de l’organisme (tout en limitant celle des sucres) afin d’augmenter la concentration sanguine de corps cétoniques. Dans l’idéal, ces derniers pourront alors servir de substrats énergétiques à l’exercice physique. Cependant, il est à noter que la réduction en glucides peut nuire à la performance et suggère donc une utilisation prudente et avertie d’une méthode comme le LCHF. Chez Innov-Training nous travaillons actuellement auprès de nos athlètes sur une approche mixte de la nutrition du sportif d’endurance, en utilisant une périodisation des apports nutritionnels pour tirer les bénéfices de chaque méthode. Nous devrions prochainement engager une étude scientifique sur le sujet.
La gestion du Jetlag
Douze heures de décalage horaire sont à enregistrées entre Hawaii et notre hexagone. A enregistrées, et donc à digérées pour ne pas se retrouver parfaitement désynchronisé sur la ligne de départ. Les conséquences d’une telle désynchronisation se constatent à travers une intolérance mentale à courir à une allure habituellement facile. Les recommandations pratiques pour le jet lag convergent vers l’idée d’ajuster son horloge biologique d’1h par jour pour chaque heure de décalage, suggérant ici de réguler ses heures de coucher et lever presque 2 semaines avant l’épreuve. Par ailleurs, les coureurs à Hawaii se déplaçant rarement à la dernière minute, cette stratégie doit être poursuivie lors des journées passées sur le lieu de la compétition. Les interventions permettant de favoriser le sommeil (relaxation, température ambiante douce, douche chaude, repas léger, boisson lactée au miel, écoute de son cycle de sommeil, etc.) comme celles permettant de le retarder (café, lumière, exercice physique intense, bruit, smartphone, etc.) prennent dans cette optique tout leur sens. De même, les siestes modérées (une vingtaine de minute) peuvent permettre d’encaisser la mise en place de cette adaptation horaire.
S’acclimater pour affronter les conditions météorologiques difficiles
En moyenne, la température ambiante à Hawaii s’élève à cette période de l’année à ~30° avec un taux d’humidité >50% (générant une température ressentie de +5-6°). Songez que ce type d’ambiance thermique induit en moyenne une perte de ~2%, ~7% et ~16% pour des durées d’effort de ~6min, ~30min et ~70min, respectivement. Imaginez donc le déclin de performance pour un Ironman en chaleur si vous n’y êtes pas préparés… Pour cela, rien de plus simple ! Essayez trois semaines avant la compétition de réaliser vos séances « light » dans votre salle de bain/garage chauffés à une température de 30°C, et cela pendant >70min à raison de 3 fois par semaine. Si vous y allez progressivement et rester à l’écoute de vos sensations (pas de surcharge !), alors vous apprendrez à votre corps à mieux tolérer (mental !) et évacuer (physiologie !) la chaleur qu’il emmagasine à l’exercice. Après 10-12 séances (sans trop d’écart entre elles), vous constaterez par vous même à quel point cette stratégie d’acclimatation à la chaleur peut être efficace…
L’approche de l’affûtage
L’affûtage est une stratégie qui consiste à manipuler le volume et l’intensité de la charge d’entraînement pour diminuer la fatigue engendrée par l’entraînement sans perte d’adaptation.
La réduction de la charge d’entraînement engagée par la phase d’affûtage va renforcer l’adaptation physiologique au niveau moléculaire et cellulaire mais également au niveau psychologique.
Les diverses études scientifiques sur le sujet préconisent des durées d’affûtage entre 4 et 28 jours (Mujika & al, 1996 ; Mujika & al, 2002). Bosquet & al (2007) évoquent une durée optimale entre 8 et 14 jours.
L’affûtage c’est aussi et avant tout une affaire personnelle, chaque organisme réagit de manière différente. Il faut être à l’écoute de l’athlète et connaître ses propres réactions afin d’individualiser cette période. Toutefois, sur distance Ironman nous avons pu remarquer auprès des athlètes que nous entraînons qu’un affûtage d’une durée comprise entre 8 et 14 jours n’apportait pas entière satisfaction. Cette année nous avons utilisé avec succès une approche sur 3 semaines qui permet une réduction plus progressive du volume d’entraînement (-20% en S-3, -40% en S-2, -60% en S-1) ce qui occasionne une rupture de charge moins importante et améliore les sensations ressenties durant la période d’avant-course par les athlètes. Pour maintenir de bonnes sensations nous conservons la fréquence des entraînements. En parallèle nous manipulons les séances intensives, qui permettent de conserver les adaptations physiologiques, avec des récupérations augmentées (ratio effort-récupération de 1:1) ainsi qu’un travail important de pacing dans chaque discipline.
L’apect psychologique est un élément important à prendre en considération, l’athlète doit se sentir bien dans les derniers jours avant l’objectif pour avoir confiance en ces moyens. Saw & al (2015) ont analysé 56 études sur le sujet du monitoring de la charge d’entraînement. Il en ressort que la surveillance du bien être de l’athlète est un élément essentiel pour guider l’entraînement et la phase d’affûtage. Sur ce sujet nous sommes entrain de développer un outil qui va nous permettre de suivre l’évolution quotidienne de ce bien-être pour réadapter l’entraînement en fonction de la réponse individuelle de chaque athlète. Plus d’infos prochainement sur le sujet.
En conclusion
Les différents points évoqués dans cet article (pacing, stratégie nutritionnelle, gestion du Jet-Lag, acclimatation à la chaleur et phase d’affûtage) doivent aider l’athlète à atteindre sa meilleure performance sur l’IM d’Hawaii mais également sur les courses ayant un format identique.